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Ubuntu sur les traces de Window$

octobre 2012

Tous les deux ans, Cannonical sort une nouvelle version majeure [7] de la distribution [Ubuntu-Linux-http://www.ubuntu.com/]>. Dans un monde Linux presque surchargé, l’un des atouts d’Ubuntu tenait à sa capacité de mise à jour. Pour passer d’une version à la suivante, nul besoin de reformater son disque dur ni de réinstaller son système. On faisait une « mise à niveau », c’est à dire une mise jour globale du système et des applications. Il serait inexact de dire que ça se passait toujours bien, mais en appliquant quelques règles et astuces, toujours les mêmes, l’ordi finissait par afficher l’écran de connexion souhaité. Avec l’arrivée de la dernière version majeure d’Ubuntu, ce n’est plus cas !

La tentative de mise à niveau depuis Lucid Lynx [8] vers Precise Pangolin [9] a toutes les chances d’échouer, irrémédiablement. Elle conduit trop souvent à un état irrécupérable du système, voire à un ordinateur hors de contrôle que seul un reset matériel peut ressusciter… Au final, vous n’aurez pas d’autre solution que de formater votre disque pour installer la nouvelle version. Exactement ce qu’est sensé éviter une mise à niveau !

On ne s’étonnera pas que Cannonical communique peu sur ce piège tendu aux personnes qui ont cru aux promesses de la mise à niveau. C’est tout autre chose quand, sur les forum de chasse aux bugs, les responsables d’Ubuntu nient les dysfonctionnements. On retrouve alors l’arsenal des arguments de mauvaise foi dans lequel puisent les éditeurs de logiciels : les personnes plaignantes sont accusées de ne pas avoir lu la documentation, de n’avoir pas respecté la procédure, de mentir sur les conditions de l’échec, etc. Bref, la seule réponse est de tenter de disqualifier les plaignantes.

Il y avait pourtant un aveu d’incapacité dans les modalités de la fameuse mise à niveau. Pour le passage de Lucid à Precise, Cannonical avait fini par signaler qu’il convenait d’attendre la première version corrigée de Precise. Autrement dit, l’éditeur reconnaissait implicitement mais officiellement que, lors de sa sortie, en avril 2012, la mise à niveau vers Precise était impossible. Il fallait donc attendre « le mois de juillet », qui se transforma en « fin août », avant d’effectuer la mise à niveau. On constate aujourd’hui ce que dissimulait cet aveu implicite suivi de ce glissement des dates : Cannonical n’arrive pas à mettre au point une mise à niveau fiable. Cette fonctionnalité faisant partie de toute distribution majeure d’Ubuntu, cela revient à reconnaître que la dernière version majeure était incomplète lors de sa sortie.

Les mises à niveau précédentes ayant souvent occasionné des difficultés, on pourrait voir dans les dysfonctionnements actuels un faux pas un peu plus malheureux que d’ordinaire. Il est vrai que le calendrier de publication des versions que continue de s’imposer Cannonical, combiné au désir de proposer les dernières versions des logiciels, le pousse irrémédiablement à la faute. En la matière, l’équipe qui gère la distribution Debian a définitivement donné la seule réponse sensée à la question « Quand sortira votre prochaine version stable ? ». « Elle sortira quand elle sera stable ! ». Le reste n’est que poudre aux yeux du marketing et/ou fanfaronnade de développeur.

L’attachement historique à un calendrier figé [10] ne suffit pas à expliquer l’incapacité de Cannonical à trouver une solution à un problème important. L’explication tient plus à l’« importance » réelle que l’éditeur attache à cette fonctionnalité qu’aux qualités des développeurs contribuant au développement d’Ubuntu. Jadis considérée comme indispensable il est clair que la mise à niveau d’une version sur l’autre est devenue secondaire. D’une certaine manière, Cannonical se glisse dans l’air du temps.

Les compagnies informatiques s’employant avec succès à raccourcir les délais d’obsolescence des matériels, il est tentant de leur emboîter le pas plutôt que d’offrir au public des moyens concrets d’y résister. Cannonical assure la maintenance de ses versions majeures pendant 5 ans. Avec une sortie tous les deux, on a la promesse qu’en installant la dernière version majeure d’Ubuntu, on disposera d’une maintenance d’au moins trois ans ; soit le temps qu’il a fallu aux netbooks pour disparaître des rayons et aux tablettes pour les envahir. À l’heure où l’aptitude à la surconsommation technologique devient, pour beaucoup, un élément clé de l’estime de soi, plaider pour la mise à niveau commence à faire ringard ou, pire encore, pauvre.

Au chapitre des priorités, le choix de développer Unity, une interface en phase avec les nouvelles expériences-utilisateurs et la déferlante des tablettes, a certainement conduit à dégarnir en ressources des développements moins stratégiques parmi lesquels la mise à niveau à trouvé sa place. Depuis l’annonce d’Unity comme interface par défaut de Precise, les critiques à l’encontre de Cannonical n’ont pas manqué. Mais la plupart semblent tourner à vide. Bien que certains inconditionnels trouvent Unity en tout point épatant, l’ergonomie lamentable qu’offre Unity sur une station de travail n’est pas un sujet de débat. C’est un fait. Tout comme il faudrait avoir perdu tout sens pratique pour supposer que, sur une tablette standard, Gnome est plus pratique qu’Unity. Le mise en avant d’Unity exprime le type d’expérience-utilisateur privilégiée aujourd’hui par Cannonical.

L’éditeur peut d’autant plus facilement se le permettre que la culture du jetable s’est largement diffusée dans les rangs de ses utilisateurs actifs. Sur les forums francophones et anglophones dédiés à Ubuntu, il est devenu courant de lire des intervenants proposer le formatage/installation comme une solution permettant ce « débloquer » une mise à niveau. Comme si un garagiste n’arrivant pas à régler le carburateur de votre voiture vous proposait de changer le moteur parce qu’on le lui livre pré-réglé…

Le parallèle peut faire sourire, mais en rester là reviendrait à renoncer à toute explication. Plutôt que les railler, il faut se demander pourquoi des utilisateurs en viennent à proposer le formattage/installation comme déblocage d’une mise à niveau ? La réponse est simple… S’ils placent les deux techniques sur le même plan c’est parce qu’il n’y voient que deux manières d’arriver au même résultat. De leur point de vue, elles sont bel et bien substituables l’une à l’autre, en un mot « équivalentes ». Voilà qui renseigne sur l’usage qu’ils ont de leur système.

Lorsqu’on se contente d’utiliser le système pré-installé, qu’on se limite aux applications estampillées par Cannonical et que la « configuration » du système se limite à la personnalisation du bureau, alors oui, l’installation est une solution équivalente à une mise à niveau. Ce type d’utilisation correspond à une approche « boîte noire » du système. On utilise Ubuntu mais on pourrait aussi bien utiliser Window$. Pour l’essentiel, l’espace utilisateur se limite aux données personnelles, préservées dans tous les cas de figure.

Si, au contraire, l’utilisateur appréhende l’ensemble du système comme un espace ouvert, qu’il paramètre de nombreux composants, qu’il installe des serveurs et configure des services, bref qu’il utilise sa machine comme un ordinateur personnel et non comme un terminal multimédia, il en va tout autrement. L’installation à partir de zéro peut lui demander des heures voire des jours de travail. Un travail méticuleux, fastidieux et surtout inutile puisqu’il ne vise qu’à rétablir les choses telles qu’elles fonctionnaient avant [11]. Une travail dont dispense la technique de mise à niveau.

On retrouve ainsi, parmi les personnes utilisant des systèmes libres, la divergence fondamentale boîte-ouverte/boîte-noire séparant les systèmes libres des systèmes propriétaires. Dans ces conditions, ce qui est reproché à Ubuntu comme étant de mauvais choix sont plutôt des propriétés cohérentes avec les orientations stratégiques de Cannonical : s’adresser aux segments de marché les plus dynamiques (tablettes, mobilité, cloud), refermer l’horizon des utilisatrices d’Ubuntu en privilégiant un univers presse-bouton sous contrôle (ubuntu-one, ubuntu-store, Unity). On peut discuter de la pertinence de cette stratégique mais il est absurde de critiquer des options techniques, juste parce qu’elles ne nous conviennent pas, sans les mettre en perspective.

Ainsi, on peut s’interroger sur les chances d’une focalisation sur l’expérience utilisateur de type tablette/smartphone, tout en faisant l’impasse sur le smarphone qui est assuré le terminal n°1 d’accès à Internet dès 2013. L’approche d’Android, faisant l’impasse sur les ordinateurs semble plus en phase avec le marché de masse [12]. Quant à Window$ 8, il promet de se démarquer en proposant une continuité d’expérience et d’usage de l’ordinateur au smartphone en passant par la tablette.

Délaisser l’ordinateur « à l’ancienne », celui sur lequel Ubuntu s’est développé, peut s’avérer un pari risqué. Commercialement, contraindre les utilisateurs à installer un système neuf, revient à créer une rupture qui peut rapidement se transformer en incitation à changer de boutique. À l’heure actuelle, la distribution Debian, sur laquelle Ubuntu est bâti, offre des fonctionnalités utilisateur équivalentes, avec un fiabilité supérieur et une garantie de continuité sans commune mesure. Laisser Cannonical à ses tâtonnement stratégique et revenir à une distribution fidèle au logiciel libre est certainement le meilleur service qu’une utilisatrice d’Ubuntu peut se rendre à elle-même... Et remercier Ubuntu de l’y avoir poussée :)

Notes

[1] Les versions dites « LTS », soit Long Term Support, dans la terminologie d’Ubuntu.

[2] Toutes les versions d’Ubuntu « bénéficient » d’une double appellation. La première, telle Lucid Lynx, résulte de l’association d’un nom d’animal et d’un adjectif. Par contraction, il arrive que seul l’adjectif soit mentionné. La seconde indique l’année et le mois de publication de la version. Par exemple, 10.04 indique que Lucid Lynx a été publiée en avril 2010. Ainsi « Lucid », « Lucid Lynx » et « 10.04 » désignent la même version.

[3] Dernière version majeure (LTS) au moment de la rédaction de ce billet. Elle fut publiée en avril 2012 et porte donc le numéro 12.04.

[4] Cannonical s’engage à publier une nouvelle version d’Ubuntu tous les six mois (en avril et octobre) et un version majeure (LTS) tous les deux ans (la version d’avril, les années paires.

[5] Sans autre valeur ajoutée que de bénéficier de mises à jour.

[6] Sans même évoquer la disproportion entre les acteurs et, par là, leur aptitude à peser sur le cours des choses plus qu’à le subir.

[7] Les versions dites « LTS », soit Long Term Support, dans la terminologie d’Ubuntu.

[8] Toutes les versions d’Ubuntu « bénéficient » d’une double appellation. La première, telle Lucid Lynx, résulte de l’association d’un nom d’animal et d’un adjectif. Par contraction, il arrive que seul l’adjectif soit mentionné. La seconde indique l’année et le mois de publication de la version. Par exemple, 10.04 indique que Lucid Lynx a été publiée en avril 2010. Ainsi « Lucid », « Lucid Lynx » et « 10.04 » désignent la même version.

[9] Dernière version majeure (LTS) au moment de la rédaction de ce billet. Elle fut publiée en avril 2012 et porte donc le numéro 12.04.

[10] Cannonical s’engage à publier une nouvelle version d’Ubuntu tous les six mois (en avril et octobre) et un version majeure (LTS) tous les deux ans (la version d’avril, les années paires.

[11] Sans autre valeur ajoutée que de bénéficier de mises à jour.

[12] Sans même évoquer la disproportion entre les acteurs et, par là, leur aptitude à peser sur le cours des choses plus qu’à le subir.

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